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Les fondements de l'identité du peuple québécois
Il ne saurait y avoir de doute. Les Québécoises et les
Québécois forment une société et réunissent
depuis longtemps tous les critères généralement
acceptés pour se voir reconnaître comme peuple par les autres
nations et accéder au statut d'État souverain. Cette
réalité n'est pas nouvelle. Les historiens s'entendent en
général pour affirmer que, quelques décennies après
la fondation de Québec, les habitants de la Nouvelle-France
possédaient déjà une personnalité et une
façon de vivre bien <<canadienne>>. Ces traits de
caractère et ces moeurs pionnières feront peu à peu du
peuple français d'Amérique une collectivité qui se
démarquera de sa mère-patrie.
L'emprunt aux coutumes et à la culture autochtones, emprunt dicté aussi bien par le climat que par les relations de voisinage, contribuera pour une large part à façonner ce type particulier de personnalité que la tradition orale désigne sous le vocable de <<l'habitant>>.
<<Le savoir-faire a dû rapidement s'adapter à un pays neuf. La cadence climatique d'étés presque méditerranéens et d'hivers à pierre fendre oblige les arrivants de Normandie, de Bretagne, du Poitou, d'Île de France, à repenser leur habitat, leur tenue vestimentaire et les transports, à mettre leur agriculture et leur élevage au diapason de cycles et de caprices de la nature, passablement différents de leur pays d'origine. L'addition de tous ces éléments d'apprentissage, enrichis discrètement du savoir millénaire des Amérindiens, débouche sur l'invention d'un pays.>>
Par leur histoire, leur culture, leur langue, le territoire qu'ils occupent, leurs institutions, l'état de leur développement, le tissu de leurs relations déjà établies avec le reste du monde, les Québécoises et les Québécois forment indiscutablement et ce, depuis très longtemps, un peuple.
L'apport graduel de différentes communautés ethniques, dont la minorité historique d'expression anglaise, a contribué à fabriquer et à enrichir la culture de ce peuple. Nonobstant son attachement à sa spécificité française d'origine, le Québec s'est en effet traditionnellement révélé une terre d'accueil pour beaucoup de communautés immigrantes.
Cette spécificité québécoise, que l'on s'est efforcé de conserver et de développer depuis trois cents ans, a été plusieurs fois niée par notre partenaire de toujours, le Canada, au cours de notre histoire commune. Le point culminant de cette politique de refus a été atteint, en 1982, lorsque le gouvernement canadien a rapatrié et modifié unilatéralement la Constitution sans l'accord du Québec. Ce refus a été reconfirmé en 1990 par le rejet de l'Accord du lac Meech, et plus particulièrement par le rejet de la clause de cet accord qui reconnaissait enfin le Québec comme <<société distincte>>. Ce nouvel affront a profondément blessé les Québécoises et les Québécois qui se sont sentis niés dans leur identité profonde.
Puisqu'elle lui est refusée par son propre pays, le Canada, la reconnaissance de l'existence et de l'identité du peuple québécois ne peut désormais découler que de sa propre affirmation politique. Cette affirmation constitue le fil conducteur d'un grand nombre d'initiatives majeures prises par les gouvernements successifs du Québec au cours des dernières décennies. Elle conduit, en toute logique, à l'exercice, par le peuple québécois, de son droit à l'autodétermination, c'est-à-dire au droit de disposer de lui-même comme collectivité.
Un peuple piégé sur le plan constitutionnel et politique
Tout au long de son histoire, le peuple québécois se sera
efforcé, tantôt de façon timide, tantôt de
façon ferme, de redéfinir les arrangements constitutionnels qui
orientent ses destinées politiques. Un grand nombre de mémoires
présentés aux commissions sur l'avenir du Québec se sont
attachés à décrire comment, à diverses
époques, le Québec s'est vu tour à tour soutenu, puis
trompé dans cette légitime reconquête
d'égalité. Une réflexion approfondie sur les avatars de
notre histoire apparaît indispensable pour bien saisir la gravité
de la situation actuelle. Le Québec se trouve désormais à
la croisée des chemins: il doit prendre une décision. En effet,
une analyse soignée des principaux épisodes vécus depuis
cinquante ans nous indique assez bien en quoi le <<mal canadien>>
est profond et quelle leçon le peuple québécois doit tirer
de son histoire récente pour se donner enfin un régime politique
susceptible de répondre à toutes ses aspirations.
Le régime fédéral de 1867 a modelé le Canada actuel: l'intention d'origine était de créer un vaste espace économique dans l'axe est-ouest du pays. Pour ce faire, il fallait accorder au Parlement fédéral des pouvoirs étendus dans des secteurs stratégiques (monnaie, banque, commerce interprovincial et extérieur).
Mais la Loi constitutionnelle de 1867 n'a représenté qu'un point de départ. Dès lors, le Parlement fédéral a commencé à s'ingérer dans les champs de compétence des provinces. Au fil des années, de nouveaux secteurs d'activité inconnus au dix-neuvième siècle ont surgi: aéronautique, câblodistribution, énergie nucléaire, télédiffusion, radiodiffusion. Les compétences législatives concernant ces secteurs ont été sans exception attribuées au Parlement fédéral par les tribunaux. Les compétences fédérales en matière de commerce et de développement économique général ont également été étendues et raffermies, et ce phénomène tend constamment à s'accroître. Dès que <<l'intérêt national>> semble justifier son intervention, le gouvernement fédéral n'hésite plus à envahir périodiquement des champs de compétence pourtant explicitement réservés aux provinces par la Constitution. L'exemple de l'éducation est le plus flagrant. Depuis quelques années, en effet, le gouvernement fédéral s'engage de plus en plus ouvertement dans le domaine de la formation de la main-d'oeuvre et de l'enseignement post-secondaire, en dépit des protestations réitérées de tous les gouvernements qui se sont succédés à Québec.
Le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral lui a également permis d'attribuer des revenus à des domaines de stricte responsabilité provinciale, tels que la santé ou l'éducation. En outre, le gouvernement fédéral a constamment cherché à influencer les décisions du gouvernement du Québec dans des domaines que la Constitution canadienne a pourtant réservés aux provinces, en offrant à sa province française, sous condition, des paiements de transfert considérables lui permettant de dispenser de nouveaux services aux citoyennes et aux citoyens, services dont le pouvoir central se réservait, bien sûr, la définition exclusive... Des dédoublements coûteux et un manque d'efficacité ont résulté de cette politique. Pour y remédier, la solution est pour un grand nombre de Québécois, de payer dorénavant tous leurs impôts à un seul gouvernement!
Le gouvernement fédéral souhaitait évidemment que ce gouvernement soit celui d'Ottawa. Son orientation majeure n'a d'ailleurs pas dévié depuis la Première Guerre mondiale. Afin de financer l'effort militaire, il a cherché à occuper le champ de l'impôt direct, jusque-là réservé aux provinces. En 1917, selon les promesses du Premier ministre Borden, l'imposition du premier impôt fédéral sur le revenu ne devait être qu'une mesure temporaire! On sait ce qui est advenu: il est demeuré bien en place et n'a jamais été remis en question.
Pendant la dépression économique des années 30, le gouvernement fédéral a mis sur pied, en 1937, la Commission Rowell-Sirois. Cette dernière avait pour mandat d'examiner le financement du fédéralisme canadien et le déséquilibre survenu entre les responsabilités sociales et les capacités fiscales des provinces. Cette commission a proposé une centralisation très marquée des pouvoirs fiscaux au profit de l'État fédéral. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral, fidèle à son penchant, a réussi à convaincre les provinces de renoncer temporairement à leur pouvoir de prélever des impôts sur le revenu des particuliers et des corporations. La guerre terminée, le gouvernement fédéral a voulu tout naturellement perpétuer cette façon de faire. Les gouvernements de l'Ontario et du Québec s'y sont opposés fortement, mais Ottawa a refusé d'abandonner ce champ de taxation.
Selon le professeur Edmond Orban, auteur d'un important ouvrage sur l'évolution des fédérations: <<L'évolution des constitutions [...] indique une tendance au renforcement des pouvoirs du gouvernement central, surtout dans le domaine économique. Cette évolution s'est effectuée [...] à des vitesses variables selon la conjoncture économique et politique. Elle a connu des phases d'accélération et des réactions de plus ou moins grande amplitude. Celles-ci, vues à long terme, ne semblent cependant pas de nature à renverser la vapeur>>.
Devant cette offensive historique, tous les gouvernements du Québec ont réagi. Le gouvernement Duplessis a créé le ministère du Revenu en 1954 dans le but précis de consolider l'assise fiscale du Québec qu'il considérait, à juste titre, comme le fondement de son autonomie. Le gouvernement Lesage est allé plus loin. En 1965, il créait la Régie des rentes et la Caisse de dépôt et de placement pour être en mesure de contrer les nouvelles initiatives d'Ottawa. Il ne s'agissait plus, désormais, de chercher à préserver l'autonomie de 1867, mais d'entrer activement dans la modernité en dotant le Québec d'outils efficaces pour qu'il puisse orienter lui-même son propre développement.
Les visions canadienne et québécoise ont continué de s'affronter, dans le domaine fiscal comme dans plusieurs autres. Historiquement, il appert que la vision de l'État fédéral l'induit continuellement à s'accaparer de tous les pouvoirs essentiels à la maîtrise du développement économique, tout en abandonnant aux provinces la gestion du déclin des services publics. On lui prête maintenant l'intention de chercher à réduire encore l'autonomie fiscale des provinces et leur pouvoir d'emprunter à l'étranger. Le vieux rêve de la centralisation fédérale proposée par le rapport Rowell-Sirois est donc loin d'être enterré!
Les citoyennes et les citoyens se rendent compte qu'ils font de plus en plus les frais de ces affrontements. Ils estiment que cette situation ne peut plus durer, et qu'il leur revient d'y mettre fin. Ils demandent qu'on leur explique clairement les enjeux des nouveaux choix politiques qu'on leur propose avant de se prononcer. Ils veulent enfin être mieux éclairés sur les conséquences de leur décision.
Tous conviennent que nous sommes dans une impasse. Des négociations et des confrontations éprouvantes ont eu lieu entre le Québec et le Canada au cours des dernières décennies. Les citoyennes et les citoyens en ont été les victimes. Au cours de cette période récente, aucun changement constitutionnel en profondeur n'a été accordé au Québec. Au contraire, le gouvernement fédéral, soutenu par la Cour suprême, a continué d'empiéter de plus belle dans les domaines de compétence du Québec et de démanteler certaines de ses lois.
L'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 par les parlements canadien et provinciaux sans l'accord du Québec a poussé encore plus loin cette démarche. Adoptée malgré l'opposition du Québec, elle a introduit un changement radical dans la façon de concevoir le fonctionnement du pays. La nouvelle constitution confie désormais aux tribunaux le mandat d'interpréter la Charte canadienne des droits et libertés, et, par extension, de façonner et de modifier certaines des règles parmi les plus fondamentales de notre société. Mais avant toutes choses, elle consacre, pour tout avenir prévisible, la quasi-impossibilité, pour le Québec, de faire modifier le cadre constitutionnel actuel en ce qui a trait à ses aspects les plus fondamentaux. En effet, elle exige pour ce type de modification, l'assentiment cumulé de la Chambre des communes, du Sénat et de l'Assemblée législative de chaque province. Ce qui est nettement impossible. Pourtant, dans certains secteurs tels que celui de la formation de la main-d'oeuvre, il existe un large consensus social au Québec pour que de telles modifications soient apportées au bénéfice des compétences québécoises. Mais il en va tout autrement de l'impossible consensus <<canadien>>! Selon l'avis d'un grand nombre de mémoires reçus par les commissions sur l'avenir du Québec, le virus de <<l'immuabilité constitutionnelle>> risque de réduire bientôt, et pour une période indéfinie, le gouvernement québécois à un statut d'administrateur provincial soumis aux normes canadiennes dans la quasi-totalité des compétences qui lui étaient exclusives en vertu de l'ancienne Constitution de 1867.
La Constitution de 1982, sa signification et ses conséquences à
long terme pour le peuple québécois
Jamais, dans l'histoire du Canada, le Québec en est-il arrivé à une telle fin de non-recevoir de ses demandes d'autonomie.
Un profond attachement à la démocratie
En dépit du caractère souvent émotif du débat
constitutionnel et des divergences profondes qui persistent entre le
Québec et le Canada quant aux orientations à se donner, il
subsiste heureusement, et c'est un élément qui honore tout autant
les Canadiens que les Québécois, une volonté et une
capacité évidentes de résoudre pacifiquement les
différends qui les opposent.
Les consultations publiques tenues en 1990-1991 par la Commission Bélanger-Campeau et celles qui se terminent aujourd'hui par la remise du rapport de la Commission nationale sur l'avenir du Québec ont fait particulièrement ressortir la qualité d'un processus démocratique que de nombreux observateurs étrangers considèrent exemplaire.
Les Québécoises et les Québécois ont développé une longue tradition démocratique qui compte sans doute parmi les plus anciennes et les mieux enracinées du monde occidental. Ils ont à leur actif:
Les Québécoises et les Québécois ont probablement saisi que, plus l'organisation politique d'un pays est simple et proche des milieux concernés, plus directs deviennent les rapports entre citoyens et gouvernement, mieux la démocratie s'en trouve servie. Depuis longtemps échaudés par le jeu de <<ping pong>> et les superpositions des bureaucraties fédérale et provinciale, les Québécoises et les Québécois recherchent désormais une forme de pouvoir allégé, plus proche d'eux et plus rapide dans ses interventions. La décentralisation constitue donc une question fort importante et la Commission nationale l'a examinée avec la plus grande attention. Certes, la consultation de l'hiver 1995 ne peut, à elle seule, prétendre la circonscrire. Cependant, les commissions ont recueilli suffisamment de points de vue originaux et constructifs pour permettre au gouvernement de jeter les bases d'une réflexion collective en profondeur sur cette question et sur d'autres, également fort importantes, qui y sont étroitement rattachées.
Cette vitalité démocratique, manifestée tout particulièrement par l'intérêt marqué des Québécoises et des Québécois pour la décentralisation demeure partagée par la communauté canadienne anglophone. Cet attachement à la démocratie est un acquis à préserver car il est gage de respect mutuel pour l'avenir. Par la façon dont le débat constitutionnel sera mené, les Canadiens doivent toujours considérer le Québec comme un partenaire de choix et ne jamais laisser compromettre ou entacher ce que Canadiens et Québécois auront probablement produit de plus valable ensemble.
Une capacité incontestable de se développer économiquement
Au 1er juillet 1994, la population du Québec est évaluée
à 7 281 100 personnes, soit 24,9 % de la population canadienne. Elle se
compose de 51 % de femmes et de 49 % d'hommes. Cette population est
scolarisée: 76 % de la population détient un diplôme de
niveau secondaire et 11,5 %, un diplôme universitaire. Cette proportion
de diplômés universitaires rejoint les moyennes observées
dans beaucoup d'autres pays: par exemple, 10 % en Finlande, 7 % en Belgique et
en Australie, 6 % en Italie. Au plan de la scolarisation cependant, une large
proportion de Québécoises et de Québécois est
actuellement dépourvue de formation adéquate pour affronter les
difficiles réalités de la vie d'aujourd'hui.
Au Québec, le taux de croissance annuel moyen des cinq dernières années a été de 0,9 %, alors qu'il atteignait 1,3% pour l'ensemble du Canada. Ce déséquilibre n'est pas sans conséquences sur le revenu des particuliers. Comme le soulignait un mémoire soumis à la Commission nationale, le revenu des ménages québécois francophones, en 1977, était de 13 % inférieur à celui des ménages ontariens anglophones; en 1992, l'écart s'était élargi à 20%. Une étude récente du ministère de la Sécurité du revenu du Québec nous apprend que le Québec détient actuellement le record des taux de pauvreté au Canada. Le Québec est maintenant au dernier rang, derrière Terre-Neuve, ayant effectué une lente descente au cours des dernières années. Les données de cette étude concordent avec celles que vient de rendre publiques le Conseil canadien du bien-être social.
Les données disponibles sur le produit intérieur brut (P.I.B.) illustrent l'importance de l'activité économique sur le territoire québécois. En 1994, le P.I.B. du Québec se chiffrait à 168,8 milliards de dollars, soit une hausse de 5,4% par rapport à l'année précédente. Il représente 22,8% du P.I.B. canadien.
En 1994, le P.I.B. par habitant du Québec était évalué à 23186 dollars et représentait 91,6 % de la moyenne canadienne (25 308 dollars). Ce ratio entre le P.I.B. par habitant du Québec et celui du Canada s'est maintenu, avec quelques variations, autour de 90 % entre 1970 et 1994. Pour sa part, le revenu personnel par habitant au Québec, estimé à 15 606 dollars en 1994, est passé de 89,6 % de la moyenne canadienne en 1970, à 92,7 % en 1990, pour ensuite retomber à 90,9 % en 1994. Le taux de chômage, en novembre 1994, se situait à 11,4 % au Québec alors qu'il n'était que de 9,6 % au Canada. Historiquement, il y a toujours eu un écart significatif entre les taux de chômage québécois et canadien. Phénomène qu'on peut relier à un ensemble de facteurs mais qui, pour plusieurs citoyens et organismes entendus par les commissions, n'est pas étranger aux politiques économiques canadiennes.
En 1993, un peu moins de 2 % du P.I.B. du Québec était attribuable à l'agriculture, ce qui correspond sensiblement à la proportion observée dans les autres pays du Groupe des sept pays les plus industrialisés (G7). Une proportion de 29 % était liée à l'activité industrielle, ce qui inclut les secteurs des mines, de la fabrication, de la construction et de l'énergie, soit un taux comparable à celui des États-Unis et inférieur à celui du Canada (40 %). Cette faible industrialisation suppose une importante contribution du secteur tertiaire à l'économie: le secteur des services compte en effet pour 69 % du produit intérieur brut québécois.
L'ouverture sur les marchés extérieurs constitue l'une des caractéristiques principales de l'économie québécoise. En 1993, le Québec a vendu des biens et des services hors de ses frontières pour un montant évalué à 72,5 milliards de dollars, soit plus de 45 % de son P.I.B. Les exportations internationales comptent actuellement pour 55 % de ce montant.
L'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, on l'a rappelé, a consacré le principe de l'égalité des provinces. Ce principe empêche désormais le système fédéral d'accorder au Québec les moyens qu'il réclame depuis toujours pour développer son économie. La nouvelle constitution, en effet, exige dorénavant que toute compétence nouvelle attribuée au Québec le soit également à toutes les autres provinces. À l'avenir, toute décentralisation doit se faire de manière uniforme et rigoureusement symétrique.
De plus, ces nouvelles règles du jeu amènent le gouvernement fédéral à répartir certaines de ses dépenses dans l'ensemble des provinces du Canada, en tenant compte de critères politiques plutôt qu'en fonction de la situation économique ou de la stratégie de développement de chacune d'elles. Dans bien des secteurs, le Québec ne reçoit pas la part qui lui reviendrait dans le système fédéral, si l'on tenait compte de sa contribution économique (22,8 %) ou de son poids démographique (24,9 %). Bien que le Québec bénéficie de paiements de péréquation depuis 1968, maints exemples peuvent être cités qui illustreraient les préjudices qui sont présentement causés à son développement économique et, conséquemment, à la création d'emplois sur son territoire (voir l'encadré sur la page suivante).
Depuis 1982, le gouvernement fédéral a modifié son approche en ce qui concerne les transferts aux provinces. Il a imposé des mesures de compression au financement des programmes établis (F.P.E.), destinés aux services de santé et à l'enseignement post-secondaire. Ce désengagement du gouvernement central se traduit par une perte cumulative pour le Québec de 12,3 milliards de dollars, dont 1,9 milliard pour l'année 1994-1995. On constate ainsi que le gouvernement fédéral, qui avait par son pouvoir de dépenser décidé d'assumer des responsabilités financières touchant les services de santé et l'enseignement post-secondaire, se désengage aujourd'hui financièrement mais décide de maintenir l'imposition de normes dites nationales.
Selon les règles du Régime d'assistance publique du Canada (R.A.P.C.), le gouvernement fédéral doit couvrir la moitié des dépenses admissibles des provinces en bien-être. Pour la période de 1984 à 1991, le Québec se situait à l'avant-dernier rang des dix provinces quant à la croissance des transferts. Ce désengagement financier du gouvernement fédéral n'est d'ailleurs pas étranger à l'évolution difficile des finances publiques au Québec. De plus, les normes imposées par le gouvernement fédéral, qui sont maintenues en dépit de son désengagement, restreignent de façon importante la capacité du Québec de s'adapter à ces nouvelles contraintes financières. Le dernier budget fédéral, qui annonçait la fusion du F.P.E. et du R.A.P.C., prévoit une diminution des transferts aux provinces de 5,3 milliards de dollars d'ici l'année budgétaire 1997-1998, dont 1,5 milliard de dollars (28 %) pour le Québec.
Fort de ses nouvelles compétences, le Québec aurait alors à revoir l'ensemble de son régime fiscal et à restructurer les programmes gouvernementaux en fonction de ses priorités. Il devrait procéder à une refonte de plusieurs programmes existants afin d'éliminer les chevauchements qui subsisteraient. Cette opération, qui conduirait à une diminution certaine des dépenses publiques et à un accroissement de l'efficacité des programmes gouvernementaux, pourrait constituer, selon le rapport de la Commission Bélanger-Campeau, l'un des premiers bénéfices nets de l'accession à la souveraineté.
Il y a donc tout lieu de croire que l'accession du Québec à la souveraineté permettrait de créer une plus grande solidarité entre Québécois et une plus grande cohésion économique et sociale. Le Québec pourrait améliorer sa capacité d'adaptation aux changements technologiques en se dotant d'une formation professionnelle plus près de ses besoins, en mettant l'accent sur la recherche et le développement et en accélérant la conversion des secteurs industriels en déclin. De tels gains pourraient favoriser l'émergence d'un nouveau contrat social entre le gouvernement, les entreprises et les travailleurs. Une telle concertation pourrait permettre à l'économie québécoise d'évoluer plus rapidement et de mieux relever les défis auxquels elle se trouverait confrontée.
Un besoin de consolider l'identité culturelle française
Depuis déjà plusieurs décennies, le Québec est le
seul territoire du Canada où la langue et la culture françaises
reposent sur des assises solidement établies. Partout ailleurs, le
mouvement d'assimilation fait ses ravages, année après
année. Le Québec demeure la seule province où le
français ne subit pas de recul ,
bien que la situation sur l'Île de Montréal demeure encore fort
préoccupante, dix-huit ans après l'adoption de la Charte de la
langue française. En effet, si l'Île de Montréal continue
d'accueillir à elle seule plus de 70 % des nouveaux arrivants et que le
taux de natalité des francophones demeure stationnaire, les
non-francophones pourraient bien connaître à brève
échéance un taux de croissance jusqu'à cinq fois
supérieur aux francophones.
Alors qu'on aurait pu s'attendre à une inversion de ces tendances avec l'adoption de la loi 101, le pouvoir d'attraction du français au Québec est cependant demeuré faible face à celui de la langue anglaise. Hors du Québec, en effet, 35 % des Canadiens dont le français est la langue maternelle n'en font plus usage maintenant dans leurs foyers. Ils ont été assimilés en moins d'une génération. On comprend pourquoi tant de mémoires ont insisté dans leurs recommandations pour que le Québec soit clairement identifié comme une terre de langue française et de culture québécoise et que son gouvernement procure à cette langue et à cette culture la protection et les ressources nécessaires à leur développement.
Dans le domaine de la langue des institutions publiques, par exemple, la loi 101 visait à faire du français la langue principale de l'administration publique, afin d'amener les anglophones du Québec et les immigrants à apprendre et à parler la langue française. Pour parvenir à cet objectif, la loi avait balisé plus étroitement l'usage du bilinguisme des institutions publiques québécoises. La loi 101 prévoyait ainsi que les lois et règlements seraient dorénavant adoptés en français et qu'une traduction anglaise non officielle serait fournie. En matière judiciaire, des dispositions de cet ordre étaient également prévues. Or toutes ces dispositions, qui formaient le chapitre 3 de la loi 101, ont été déclarées, elles aussi, inconstitutionnelles par la Cour suprême du Canada en 1979, comme étant en conflit avec l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Dans le domaine de la langue du commerce et des affaires, l'objectif de la loi 101 était de <<franciser>> l'économie. Parmi les moyens utilisés pour y parvenir, la loi stipulait que l'affichage public, la publicité commerciale et les raisons sociales devaient être rédigés en français seulement. Il s'agissait là d'un des rares cas où la loi prescrivait l'usage exclusif du français. La Cour suprême a jugé cette clause incompatible avec la liberté d'expression garantie dans la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
Dans le domaine de la langue d'enseignement, l'objectif de la loi 101 était d'obliger les immigrants (et les francophones eux-mêmes) à inscrire leurs enfants à l'école française, de façon à réserver l'école publique anglaise aux enfants de la minorité historique anglophone du Québec. Pour atteindre cet objectif, le législateur avait inscrit dans la loi une règle appelée <<clause Québec>> en vertu de laquelle n'étaient admissibles à l'école publique anglaise (primaire et secondaire) que les enfants dont l'un ou l'autre des parents avait lui-même effectué, dans une école anglaise du Québec, l'essentiel de ses études primaires. Ce privilège s'étendait également aux frères et soeurs cadets de ces enfants. La <<clause Québec>> a été, à son tour, invalidée par la Cour suprême du Canada, deux ans après son entrée en vigueur, toujours en invoquant la Loi constitutionnelle de 1982 et l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. La <<clause Québec>> est devenue depuis, et en vertu de ce jugement, <<la clause Canada>>. Désormais, tous les enfants dont l'un ou l'autre des parents a reçu son instruction primaire, en totalité ou en partie, dans une école anglaise du Canada peuvent se prévaloir du droit à l'école anglaise au Québec.
Par ailleurs, certaines dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés présentent d'autres dangers potentiels pour la loi 101 et ces dangers restent difficiles à évaluer. En prenant appui sur l'article 15(1) de la Charte canadienne qui garantit le droit à l'égalité et interdit la discrimination, on pourrait ainsi contester les dispositions de la loi 101 qui imposent la prédominance du français sur les autres langues. De même, l'article 6(2) de la Charte canadienne garantit à tous les citoyens canadiens et à toutes les personnes possédant le statut de résident permanent au Canada la <<liberté de circulation et d'établissement>>, c'est-à-dire le droit: <<a) de se déplacer dans tout le pays et d'établir leur résidence dans toute province; b) de gagner leur vie dans toute province>>. Cette liberté d'établissement peut vraisemblablement revêtir une signification linguistique, laquelle est, au moins en théorie, susceptible de se trouver en conflit avec les dispositions de la loi 101 relatives à la langue des professions, du travail, du commerce et des affaires, ainsi qu'avec celles qui portent sur la francisation des entreprises.
Il faut également souligner que la nouvelle Loi sur les langues officielles, adoptée en 1988 par le Parlement fédéral, est difficilement compatible, par certains de ses aspects, avec la politique linguistique actuelle du Québec. Même s'il n'existe pas, au sens strict, de conflit juridique entre la Loi sur les langues officielles et la Charte de la langue française, leurs objectifs ne sont pas les mêmes. En effet, l'objectif proposé par la loi fédérale est de faire la promotion du bilinguisme au Canada. En créant des aires de bilinguisme où les deux langues doivent recevoir un traitement égal, la loi fédérale crée une situation de concurrence défavorable au français. Cependant, tant que le Québec demeurera membre de la fédération canadienne, il sera légalement, pour lui, difficile de se soustraire à l'application de la législation linguistique fédérale sur son territoire et aux restrictions qu'elle impose à la Charte de la langue française.
La Commission nationale ne recommande pas pour autant le retour à l'intégralité de la loi 101 d'origine, mais elle constate que, dans le cadre actuel, le Québec ne détient pas la capacité essentielle de légiférer pleinement en ce domaine.