Certaines préoccupations ne peuvent cependant être passées sous silence. Les représentants des régions frontalières de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick, de même que les producteurs agricoles, ont exprimé certaines craintes inhérentes à leur situation, en raison du volume et de la nature des échanges qu'ils ont avec leurs proches voisins ou avec l'ensemble du Canada.
Le Témiscamingue et l'Outaouais redoutent ainsi une remise en cause, par le partenaire canadien, du principe de l'association économique. Des liens socio-économiques très étroits se sont en effet tissés, de part et d'autre de la frontière Québec-Ontario: migrations quotidiennes pour le travail, échanges de clientèles, d'équipements scolaires, de services médicaux, etc. Il est donc vital, pour ces régions, que la libre circulation puisse se poursuivre sans restriction et que la souveraineté n'entraîne aucun contrôle frontalier susceptible de nuire aux échanges.
Par ailleurs, on souhaite éviter que surgissent des tensions sociales entre les communautés interfrontalières du Québec et du Nouveau-Brunswick, qui ont l'avantage d'offrir la même langue de travail. Les producteurs agricoles, pour leur part, demeurent préoccupés du sort éventuel qui sera fait à la <<politique de gestion de l'offre>>. Ils tiennent fermement à conserver la part de marché qu'ils occupent présentement dans les productions agricoles contingentées au Canada.
Les avis des commissions vont dans le même sens. L'association est aussi nécessaire et bénéfique pour le Canada que pour le Québec. Cette dernière devrait s'imposer comme la continuité d'un état de fait après l'accession du Québec à la souveraineté. Le Québec devrait alors offrir au Canada de maintenir une union économique pourvue de mécanismes qui lui assureront un fonctionnement harmonieux pour le bénéfice des deux pays.
Les commissaires demeurent conscients que les craintes de voir le Québec échouer dans sa tentative de conclure l'union économique avec le Canada pourraient empêcher beaucoup de Québécoises et de Québécois de se rallier au projet souverainiste. Une commission rappelle la nécessité de bien expliquer en quoi une telle union est désirable pour le Canada, ne serait-ce qu'en raison de l'intérêt du milieu des affaires des autres provinces à conserver le Québec comme client. Ce pragmatisme économique, croit-on, s'avérera beaucoup plus déterminant, dans le débat, que l'humeur des élus politiques canadiens. Cette commission croit enfin que la <<raison d'affaires>> prévaudra sur la raison d'État, vu l'interdépendance actuelle des économies provinciales canadiennes.
Les commissions ont aussi noté, chez le public, une méconnaissance de l'ampleur des échanges interprovinciaux et de la complémentarité qui les caractérise. Toute cette question requerrait davantage d'information et d'explications sur le volume des échanges économiques du Québec avec les autres provinces du Canada.
Le choix de la monnaie canadienne
Question importante parce qu'elle touche la vie quotidienne de tous les
citoyens, la conservation de la monnaie canadienne dans un Québec
souverain est une proposition de l'avant-projet de loi qui a laissé les
intervenants divisés dans leurs opinions.
Le choix à faire soulève des inquiétudes et la plupart souhaitent obtenir plus de précisions sur les avantages et les inconvénients de garder la même monnaie ou de se doter d'une monnaie québécoise et d'adopter une politique monétaire. Les inquiétudes portent principalement sur les conséquences du référendum et de ses lendemains sur les taux d'intérêt, les revenus des placements financiers, le sort des investissements actuels et futurs.
Pour les partisans du dollar québécois, se doter de sa propre monnaie permet à un gouvernement d'établir sa politique monétaire, condition jugée essentielle au développement de l'économie. Inversement, conserver la monnaie canadienne équivaudrait à confier à d'autres le contrôle de l'économie québécoise. Plusieurs proposent donc d'utiliser le dollar canadien comme monnaie de transition, quitte à adopter plus tard une monnaie nationale.
Tout en étant généralement d'accord avec l'orientation de l'avant-projet de loi, les intervenants demeurent préoccupés par l'absence de contrôle du Québec sur la politique monétaire, absence qu'entraînerait l'adoption de la monnaie canadienne par un Québec souverain. Plusieurs redoutent les effets d'une telle mesure sur l'économie québécoise: taux d'escompte fixé par la Banque centrale, effets négatifs de la dette sur la confiance des investisseurs et sur la valeur de la monnaie elle-même, défense de la monnaie vis-à-vis des devises étrangères. L'adoption du dollar canadien au moment de l'accession du Québec à la souveraineté ne devrait donc pas préjuger de l'avenir. L'adoption ultérieure par l'Assemblée nationale d'une autre formule devrait aussi être envisagée, le temps de s'entendre sur le partage de la dette et des actifs, de répondre aux appréhensions des citoyennes et des citoyens et de calmer la nervosité des marchés monétaires internationaux. Un certain nombre d'intervenants proposent par ailleurs l'adoption de la monnaie américaine. D'autres enfin se montrent favorables à la création d'une monnaie nord-américaine unique dont l'intérêt et la nécessité pourraient bien s'imposer d'ici une décennie dans le contexte de l'ALÉNA.
En conclusion, les commissions constatent que la population a besoin d'être mieux informée sur cette question, nonobstant son caractère technique, afin que se dégagent plus clairement les avantages et les inconvénients rattachés à l'une ou l'autre de toutes les options présentées aux audiences.
Le partage de la dette
S'il est une question qui préoccupe actuellement les
Québécoises et les Québécois, c'est bien celle de
la dette! De simple inquiétude qu'elle était il y a 10 ans,
cette question est devenue, depuis, un véritable cauchemar pour les
gouvernements et les contribuables.
Les participants aux audiences des commissions se sont conséquemment plus attardés à la question du partage de la dette qu'à celle des biens et des actifs. Une minorité croit que le Québec pourrait techniquement se soustraire de ses obligations de remboursement de la dette canadienne. Mais la majorité des intervenants considèrent qu'il y a là une question d'honneur. Un grand nombre d'interrogations et d'inquiétudes subsistent toutefois quant au montant de la dette que le Québec aura à rembourser. Les modalités de paiement qui seront adoptées lors de la négociation et la capacité de payer du Québec préoccupent par ailleurs ces mêmes personnes. Plusieurs d'entre elles ont associé la faisabilité de la souveraineté à la capacité du Québec de s'acquitter de sa part de la dette canadienne.
La nécessité de s'attaquer sans délai au problème de la dette constitue une priorité pour la population. Les rapports des commissions en ont tous fait état et proposent également qu'un vigoureux redressement des finances publiques soit appliqué sans délai par le Québec. Ils signalent même que les citoyennes et les citoyens se disent prêts à faire des sacrifices pour ne pas laisser aux générations futures un fardeau qu'il leur sera impossible à porter et qui compromettra leur avenir.
Plusieurs commissions recommandent aussi de façon expresse au gouvernement d'informer plus adéquatement la population sur la question de la dette, afin d'en réduire l'impact négatif sur la confiance accordée au projet de souveraineté. Elles souhaitent qu'on réexamine l'un des scénarios déjà proposé à la Commission Bélanger-Campeau et qui établissait la part de la dette du Québec autour de 18% de celle du Canada. Les conclusions de cette étude se trouvent reproduites à l'annexe 6.
Qu'advient-il de la citoyenneté canadienne?
L'avant-projet de loi prévoit que la citoyenneté
québécoise pourra être cumulée avec celle du Canada
ou de tout autre pays. Cette question de double citoyenneté, canadienne
et québécoise, a constitué un sujet d'intérêt
soutenu pour un grand nombre de participants. La question a suscité des
opinions et des réactions diverses: certains ont témoigné
de leur désir d'avoir aussi la citoyenneté canadienne, alors que
d'autres sont d'avis qu'il y a ambiguïté à promouvoir la
souveraineté québécoise tout en demeurant citoyen
canadien.
Conscient que la citoyenneté canadienne pourrait être éventuellement refusée aux ressortissants québécois, un rapport de commission rappelle que le grand public est mal informé des raisons que le Canada pourrait invoquer pour justifier son refus. En conséquence, le rapport de cette commission recommande d'ajouter un alinéa à l'article 5 de l'avant-projet de loi afin d'engager le gouvernement du Québec à négocier formellement, avec le gouvernement du Canada, le maintien ou les modalités d'attribution de la citoyenneté canadienne aux Québécoises et aux Québécois.
La participation du Québec aux organisations internationales
Un Québec souverain devrait-il nécessairement reconduire tous les
traités qui lient présentement le Canada? Pourquoi, comment,
à quel prix et à quelles conditions procéder à de
telles reconductions? Quels en sont les avantages et les inconvénients
pour le Québec? Quel sera le poids du Québec dans ses rapports
avec ses nouveaux partenaires internationaux? Comment assurer la
cohérence entre le projet de société que le Québec
sera appelé à se donner et sa participation à des
traités internationaux dont certains sont de nature militaire?
L'accession éventuelle à la souveraineté suscite donc un débat relativement nouveau pour les Québécoises et les Québécois: celui qui concerne les orientations de leur politique étrangère et de leur politique de défense. Désormais, la population du Québec se sent responsable de ses choix.
C'est, en effet, l'adhésion d'un Québec souverain à des organisations telles l'OTAN et NORAD qui fait d'abord l'objet de discussions dans le public. Le maintien d'une participation du Québec au Commonwealth britannique rencontre également de nombreuses oppositions. Une participation du Québec à l'Organisation des États américains (OEA) apparaîtrait beaucoup plus appropriée au plan intérieur. Les rapports des commissions rappellent que les Québécoises et les Québécois ont, à maintes reprises, exprimé la volonté de voir le Québec jouer, sur la scène internationale, un rôle orienté d'abord vers la promotion de la paix, de la démocratie, de la justice sociale et de l'équité dans la distribution de la richesse entre pays riches et pauvres. Cette volonté, assortie des nombreux témoignages reçus en faveur d'un pays sans armée, vont à l'encontre d'une adhésion éventuelle du Québec à l'OTAN et au NORAD. En sorte que, de l'avis de certains intervenants, ces alliances militaires ne sont actuellement pas perçues à leur juste valeur par la population.
En ces matières nouvelles, la population réclame davantage d'information et de débats publics pour lui fournir un meilleur éclairage avant de décider de son avenir. En attendant cette consultation additionnelle, les commissions régionales se disent d'accord avec le principe du maintien de la participation du Québec aux organisations et aux accords internationaux auxquels participe actuellement le Canada, étant entendu que le Québec pourra, le cas échéant, réévaluer la situation. En ce qui concerne l'adhésion au Commonwealth, certains rapports concluent toutefois qu'il y aurait lieu de mieux informer le public des avantages découlant d'une participation éventuelle d'un Québec souverain au Commonwealth.