NOTES POUR L'ALLOCUTION DE M. JACQUES PARIZEAU
MINISTRE DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS

1. Contexte

Nous sommes invités aujourd'hui à débattre des crédits du ministère de la Culture et des Communications pour l'année 1995-1996. C'est la première fois que j'ai l'occasion, à titre de ministre de la Culture et des Communications, de vous présenter des choix budgétaires, bien sûr, mais plus encore, de vous faire état des perspectives dans lesquelles s'inscrivent ces choix.

En guise d'introduction, permettez-moi donc, Monsieur le président, d'esquisser, bien au-delà du strict plan budgétaire, quelques réflexions plus larges qui inspirent l'action du gouvernement et qui le guideront pendant la prochaine année.

1.1. Culture et savoir

Je fais, comme d'autres, un constat qui pourrait être qualifié d'indicateur lourd dans toute réflexion sur l'univers de la culture et des communications : nous sommes entrés ces dernières années dans une société du savoir. L'intelligence, la création, l'innovation, la mise en commun des connaissances, les développements technologiques fulgurants qui s'ensuivent créent un bouillonnement dans les idées et dans les développements qui ne cesse de nous étonner. Tout se passe tout à coup comme si les frontières entre la création artistique et l'innovation technologique étaient devenues fictives. Un néologisme illustre bien ce mouvement qui s'étend à plusieurs domaines. On parle de <<maillage>>, donc de mise en commun des forces, de renforcement des uns par les autres, de réseau et de synergie. Autant de termes qui appartiennent à la culture des battants et des gagnants. Un tel bouillonnement conduit les économistes à parler d'une <<nouvelle économie>> qui prendrait sa source dans des industries, des actions commerciales, des modes de création et de production inconnus ou inaccessibles à ce jour.

Appliquée au domaine du développement de la Culture et des Communications, une telle approche est de nature à soutenir l'idée qu'une société culturellement riche se donne les leviers qui lui permettront d'être également une société économiquement prospère. La place que tient la culture au sein d'un pays est un indicateur de civilisation de première importance. C'est par cette voie que de nombreux pays se sont démarqués dans leur évolution, c'est par cette voie aussi qu'aujourd'hui nous construisons l'avenir de nos sociétés.

L'avènement d'une <<civilisation cognitive>> nous convie à reconnaître que l'État ne saurait dissocier dans ses interventions et ses politiques, éducation, culture et médias. C'est de conjugaison et non pas simplement de juxtaposition de l'ancien et du nouveau qu'il faut parler aujourd'hui. L'autoroute de l'information, par exemple, n'est rien de moins que le transport par télématique d'une nouvelle écriture. Faut-il en attendre des bouleversements d'une envergure comparable à celle de l'invention des alphabets et de l'imprimerie? Sans doute pas, compte tenu de la capacité de nos sociétés à assumer les grands changements techno-culturels. Mais, de toute évidence, l'école sera amenée à initier les jeunes au décodage de l'image, donc à sa lecture. Ceux-ci apprivoisent rapidement les technologies nouvelles, mais ont-ils vraiment appris à exercer leur sens critique face à l'image, à comprendre la grammaire de <<cette page redressée dans l'espace>>, comme se plaît à la qualifier le professeur Paul Warren de l'Université Laval?

La conquête du savoir par chaque personne est une longue aventure dans laquelle certains choix orientent toute une vie intellectuelle. Si cela est vrai dans le choix des lectures, un choix qui s'accommode bien d'un rythme lent, imaginons un instant combien ce choix sera difficile face à des canaux et des réseaux électroniques caractérisés par la multiplicité, l'encombrement même, et la fugacité.

L'éducation en profondeur ne saurait reposer sur l'éphémère. C'est donc dire que le rôle des éducateurs et des éducatrices y sera toujours déterminant. Société de la connaissance donc, mais également société de la complexité que la nôtre. Ce qui conduit les divers acteurs de la vie publique à composer avec une réalité toujours plus large dont les multiples dimensions sont forcément en interaction.

C'est également la formation à l'école qui forge des adultes qui croient à certaines valeurs et qui contribue à donner un sens à l'existence. Former des individus compétents, économiquement productifs, certes, mais d'abord former des citoyens éclairés, capables d'exprimer une opinion, capables d'enrichir les rapports humains. Et je reviendrai d'ailleurs plus loin sur les rapports entre la culture et l'école.

1.3. Culture et création

Je voudrais faire d'autres constats concernant des éléments qui structurent l'élaboration des politiques dans le secteur de la culture et des communications. Je veux parler de l'organisation du travail, d'une part, et de l'industrie des programmes télévisuels, d'autre part. Deux domaines qui ont partie liée.

Les possibilités d'emploi dans les domaines traditionnels se réduisent continuellement, faisant mentir la théorie des cycles économiques d'expansion autrefois générateurs d'emplois. Les seuls gains de productivité ne sauraient être la cause de cette réduction d'emploi. De toute évidence, le développement technologique, le recours à une main-d'oeuvre étrangère à bon marché et le décloisonnement de la production créent, cumulativement, l'état de crise que nous connaissons, un véritable état d'exclusion pour des milliers de travailleurs déqualifiés, trop dépassés pour être recyclés avec profit, trop jeunes pour prendre leur retraite, devenus parfois <<technophobes>> en raison de l'invasion de l'informatique, d'autres fois cruellement victimes de la robotique. L'exclusion devient alors <<structurelle>>, comme le dit froidement la langue de bois des économistes! Or, l'état d'exclusion, comme le déclare la Commission mondiale de la culture, c'est le contraire de l'expression, de l'invention, de la création, bref de la réalisation de soi et de l'enrichissement que l'individu apporte à la société. C'est pourquoi nous sommes invités à imaginer une convergence de moyens pour maintenir et accroître le potentiel créateur des citoyens.

La production télévisuelle, pour sa part, transporte déjà un grand nombre d'éléments culturels à domicile. Cela va aller en s'accentuant. Nous le constatons déjà en voyant le nombre de canaux offerts, la flexibilité des signaux spécialisés, le développement fulgurant de l'autoroute de l'information, qu'on qualifie aussi d'inforoute. L'industrie des programmes télévisuels va non seulement transformer le paysage de l'image, mais, de surcroît, constituer une source de production culturelle et artistique et accentuer les rapports de compétition entre les oeuvres et les produits culturels. Cette réalité nouvelle s'explique par la conjonction et la multiplication des canaux, par la capacité toujours croissante de stocker des images et de l'information, par le développement de la télématique et l'accessibilité des moyens technologiques à domicile. C'est un véritable renversement de perspective qui s'opère : on ne se plaindra plus du manque d'information, on demandera grâce devant la surabondance.

Aujourd'hui, il est possible de mettre des produits culturels en marché, si vous me passez l'expression, en revendiquant par exemple le meilleur temps d'antenne. Nous avons déjà appris, au fil des dernières années, à segmenter nos interventions selon des <<niches>> propices à la diffusion de nos produits culturels; il nous faudra maintenant apprendre à satisfaire des clientèles mobiles qui peuvent se trouver partout sur la planète.

La mobilité culturelle s'installe à demeure. Si le phénomène n'est pas encore massif, il est irréversible. Il nous oblige à voir grand et loin et à concevoir des programmes télévisuels qui conjuguent popularité et qualité, et qui peuvent intéresser aussi bien les publics québécois qu'étranger.

Voilà, découpé à grands coups de serpe, sans y introduire toutes les nuances qui s'imposeraient, comment nous apparaît le fond de scène toujours en mouvance sur lequel s'inscrivent nos actions quotidiennes. La tertiarisation des économies a propulsé à l'avant-scène l'industrie de l'information et des savoirs et elle a ainsi replacé en tête de liste de nos préoccupations la culture et les communications. En somme, la relation de la culture au savoir, au développement et à la création constitue la toile de fond qui doit inspirer les politiques culturelles. Ces politiques prendront toujours appui sur la création artistique, le savoir acquis à l'école et dans la vie, le développement culturel des citoyens et la prise de parole qui en découle, la protection et la mise en valeur du patrimoine, donc de la mémoire collective, et le dialogue des cultures.

2. Période de transition et <<nouvelle donne>> culturelle

Comme je le soulignais en introduction, c'est la première fois que j'ai l'occasion de me présenter devant cette commission à titre de ministre de la Culture et des Communications. L'an prochain, quelqu'un d'autre assumera cette fonction. Mais si mon passage doit être bref, je souhaite qu'il permette de régler rapidement un certain nombre de dossiers. Je me suis d'ailleurs appliqué, depuis ma nomination, à accélérer et à régler quelques-uns d'entre eux.

Je souhaite aussi imprimer quelques orientations qui inspireront les décisions à prendre au cours des prochaines années. Certaines de ces orientations sont liées à des préoccupations sociales et politiques et à des choix de gestion. J'en prends pour exemple notre engagement à redonner aux régions la place qui leur revient; la priorité que nous accordons aux clientèles et aux citoyens et, enfin, notre volonté de réaliser, dans un esprit de solidarité, la rationalisation de l'administration gouvernementale.

Mais nos orientations se veulent aussi des réponses appropriées à nos besoins actuels en termes de développement culturel. Comme je l'ai souligné précédemment, le monde de la culture et des communications se transforme et se complexifie. Il importe d'ajuster notre lecture de la réalité afin de poser les gestes appropriés. Les priorités que je retiens sont les suivantes :

  1. assurer la vitalité de la création artistique et la qualité de la production culturelle,
  2. favoriser l'expression d'une vie culturelle forte dans toutes les régions,
  3. assurer la qualité et l'accessibilité des services culturels et de communication,
  4. assurer le développement de l'autoroute de l'information en fonction des intérêts du Québec,
  5. promouvoir les intérêts du Québec sur le plan international,
  6. promouvoir l'usage et la qualité de la langue française.

Les objectifs que je viens de citer engageront nos ressources et notre créativité. Pour les atteindre, nous devons créer une nouvelle mobilisation au profit de la culture et des communications. Heureusement, nous pouvons miser sur nos forces.

3. Des forces sur lesquelles il faut miser

La vitalité, l'immense créativité de nos artistes et de nos producteurs, et le dynamisme remarquable de nos médias constituent une de nos richesses les plus formidables. Grâce à eux, le Québec a un coeur, une âme. Grâce à eux, nous avons une identité qui s'exprime, et autour de laquelle nous nous reconnaissons. La première force de notre culture, c'est ce dynamisme remarquable de nos créateurs et la qualité, unanimement célébrée, au Québec et à l'étranger, de leur production.

C'est d'abord sur cette force-là qu'il faut miser.

Au fil des décennies, nous avons aussi développé un réseau de formation artistique bien implanté sur l'ensemble du territoire : avec les conservatoires, les écoles professionnelles et les programmes offerts par les collèges et les universités, il est désormais possible d'obtenir une formation artistique de qualité. Une nécessité de premier ordre, si nous voulons permettre à la relève d'émerger.

Le Québec s'est aussi doté de grandes institutions culturelles nationales chargées de diffuser la création: nos musées d'État, la Place des Arts de Montréal, le Grand Théâtre de Québec, la Bibliothèque nationale, les Archives nationales, la Cinémathèque et Radio-Québec pour ne nommer que celles-là, ont été créés pour assurer des services de conservation et de diffusion culturelles à l'échelle nationale et internationale.

Par ailleurs, à travers le Québec, on retrouve dorénavant tout un réseau de bibliothèques, de musées, de centres d'exposition, de lieux d'interprétation du patrimoine, de salles de spectacles, de galeries d'art et de centres d'artistes. Et j'insisterais aussi sur ces événements culturels populaires - festivals, salons du livre, salons des métiers d'art - qui sont devenus les moments privilégiés de l'expression culturelle dans un grand nombre de nos régions et qui constituent une formidable ouverture sur le monde. À côté de ces institutions et de ces événements culturels, un réseau de médias d'information réunit les Québécois et les Québécoises et les fait vibrer à la même actualité ou aux mêmes activités de culture ou de loisir.

Voilà des acquis qu'il convient d'utiliser pleinement.

Enfin, il faut bien dire aussi que la <<fréquentation>> de la culture, par les Québécois, a connu une progression soutenue au fil des décennies. Avec l'essor de la scolarisation et dans la foulée de l'effervescence culturelle qui caractérise le Québec depuis la fin des années cinquante, nous sommes aujourd'hui beaucoup plus nombreux qu'autrefois à avoir un contact régulier avec la culture.

Voilà un constat réconfortant dont nous ne devons pas minimiser l'importance.


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