LES CONVICTIONS TRANQUILLES DU MINISTRE LANDRY

Déjà aux premières loges de la vie publique au cours des années 1960, Bernard Landry a eu un parcours étroitement associé à l'aventure politique du Québec depuis trois décennies. Il est l'un des membres du cabinet du premier ministre Parizeau les plus férus de questions économiques. À ce titre, il nous dévoile sa vision de la place du Québec à l'heure de la mondialisation des marchés et nous fait part de ses aspirations sur la scène internationale.

Propos recueillis par Nicole Proulx

Comment définissez-vous le projet souverainiste du gouvernement du Québec ?

Je tiens à souligner que le projet proposé aux Québécois par le gouvernement du Québec n'a rien à voir avec un quelconque repli sur soi. Il ne traduit ni frilosité à l'égard du monde extérieur ni rejet des grandes valeurs des sociétés modernes en cette fin de siècle. Ce que nous proposons aux Québécois, c'est au contraire de participer pleinement au concert des nations et de l'enrichir de leur contribution, sans animosité envers qui que ce soit, mais sans intermédiaire, parce qu'ils ont leur propre vois à y faire entendre.

Nous leur proposons de prendre en main une fois pour toutes leur destinés, pour qu'ils puissent mieux - et plus que jamais - se tourner vers l'extérieur, participer aux grands enjeux auxquels nous sommes tous conviés à l'échelle planétaire et assumer l'entière responsabilité de leurs succès et de leurs échecs éventuels. C'est une démarche qui n'a rien de passéiste: nos pendules sont parfaitement à l'heure de la mondialisation des échanges.

Advenant l'accession du Québec à la souveraineté politique, quel rôle attribuez- vous aux affaires internationales dans le développement de ce nouveau pays et quels gestes concrets seriez-vous amené à poser pour que ce rôle s'exerce pleinement ?

Le Québec souverain assumerait tous les droits du gouvernement fédéral d'Ottawa avec tous les pouvoirs et les moyens d'Ottawa proportionnellement à sa population. Actuellement, les moyens sont totalement disproportionnés. Il y a plus de diplomates fédéraux dabs la seule ville de Washington qu'il n'y a de diplomates québécois sur la terre entière. Nous aurons à établir des relations internationales claires, suivant nos intérêts, mais aussi selon nos affinités culturelles et linguistiques. D'une part, il ne serait pas surprenant qu'en plus des États-Unis, la Francophonie et l'Amérique latine jouent un rôle important; d'autre part, le fait que nous ayons fait partie du commonwealth et de l'Empire britannique nous pousse à conserver des liens avec ces pays.

Qu'attendez-vous de la communauté internationale ?

La question est trop vaste pour qu'on l'aborde pour le monde entier. Commençons par notre continent, l'Amérique du Nord. Tous les interlocuteurs informés savent que le Québec a milité pour l'intégration continentale et qu'il n'y aurait pas eu de traité bilatéral Canada - États-Unis sans les voix massives du Québec, opposition et gouvernement confondus. Nous espérons que cela sera reconnu et que nous serons admis dans notre continent comme des partenaires privilégiés.

De la communauté internationale, nous attendons de la sympathie et de la coopération intellectuelle et économique. Non-ingérence, non-indifférence: voilà la position que nous souhaitons et que la plupart des pays ont adoptée. Nous ne croyons pas que les étrangers doivent nous aider à faire l'indépendance du Québec mais nous avons la certitude que, une fois que le Québec aura pris sa décision, cette indépendance sera reconnue. Pourquoi cette certitude ? Parce qu'au cours des quatre ou cinq dernières années, trente pays ont accédé aux Nations Unies et que la communauté internationale, le Canada au premier plan, a reconnu l'Ukraine, la Slovénie, la République Tchèque, la République Slovaque. Pourquoi n'en ferait-elle pas autant pour le Québec ?

Quel sera l'avantage pour le Québec de participer à l'ALÉNA comme État souverain plutôt que comme province canadienne ? Qu'est-ce que cela changera pour vous ?

Ça change tout, le fait d'être assis à la table pour négocier. Nous pourrons agir directement, défendre nos propres intérêts et faire des alliances avec des pays qui ont les mêmes intérêts que nous. Bien sûr, nous avons déjà les avantages du GATT à titre de province canadienne. Mais tous les pays veulent parler en direct; même les pays de l'Union européenne négocient individuellement au GATT, tout en conservant leur voix "européenne".

La nation québécoise est une société pluraliste et égalitaire, francophone à 82 %. Que prévoierait la Constitution d'un Québec souverain en réponse aux adultes des deux groupes minoritaires, soit les anglophones et les autochtones ?

Le Québec et son aventure politique ne se définissent pas par l'ethnie ou l'ethnicité. Le Québec est une aventure territoriale, géographique et nationale. La nation québécoise a eu plusieurs composantes dès le début. Le tissu humain québécois est largement métissé, il l'est depuis longtemps et le devient encore plus depuis vingt ans parce que le Québec est une terre d'immigration. Proportionnellement, le Québec est plus ouvert que les États-Unis et la France, et cette situation ne changera pas.

Il ne faut pas oublier cependant qu'il y a deux groupes qui ont des droits spécifiques historiques. Les anglophones, qui sont, je le crois sincèrement, la minorité la mieux traitée du monde, et les autochtones, qui constituent un cas qui est loin d'être spécifique au Québec. Christophe Colomb n'a pas découvert le Québec; il a découvert l'Amérique du Nord et du Sud. cette question autochtone revient donc aux États-Unis, au Mexique et dans le reste du Canada à des degrés proportionnellement plus importants qu'au Québec, où moins de 1 % de al population est officiellement autochtone.

Ces deux groupes ont donc des droits spécifiques. Nous envisageons pour les anglophones un statut qui sera maintenu et amélioré si cela est possible. En ce qui touche la question autochtone, que nous réglons déjà m,ieux qu'à peu près partout ailleurs, nous essaierons de continuer à être exemplaires.

Quand vous parlez aux gens d'affaires et aux investisseurs étrangers, quels sont les messages que vous véhiculez afin de faire valoir les avantages économiques d'un Québec souverain ?

La meilleure stratégie du Québec à l'étranger dans sa cueillette des investissements, c'est la vérité et la transparence. Avec sa proximité du marché américain, ses infrastructures, ses avantages fiscaux en matière de R-D, son économie tournée vers les secteurs à valeur ajoutés et son potentiel humain, notre terre est un endroit formidable pour investir. Voilà des avantages indéniables. Nous n'avons pas à raconter d'histoires quand la vérité suffit.

Pour compléter le tableau, parlez-nous de la dette publique. Ce facteur peut-il avoir un effet sur l'image du Québec à l'étranger et sur la démarche vers la souveraineté ?

Le Canada, dans son désordre financier, entraîne avec lui le Québec. Cela a des conséquences sur notre devise et sur le service de la dette que nous pourrons assurer dans l'avenir. Nous ne pouvons pas mentir sur ce point; c'est la réalité canadienne, donc la réalité québécoise. cependant, la réorganisation du canada en deux pays souverains nous donnera la change de régler la dette, la question constitutionnelle étant partiellement responsable de l'endettement. La faiblesse du contrôle politique crée des programmes conjoints financés par Ottawa, mais générés par les provinces. cette gabegie dépend largement du fait que notre Constitution n'est plus fonctionnelle. Si nous nous séparons, le Canada pourra se réorganiser et nous aussi.